Extrait de l’arrêt n° 121/2022 du 13 octobre 2022

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M.B. 30.01.2023

Par deux arrêts, nos 249.695 et 249.696, du 2 février 2021, le Conseil d’Etat a posé la question préjudicielle suivante :

« L’article 157quater, alinéa 2, 1°, de l’arrêté royal du 22 mars 1969 fixant le statut des membres du personnel directeur et enseignant, du personnel auxiliaire d’éducation, du personnel paramédical des établissements d’enseignement, gardien, primaire, spécialisé, moyen, technique, de promotion sociale et artistique de l’Etat, des internats dépendant de ces établissements et des membres du personnel du service d’inspection chargé de la surveillance de ces établissements, en vertu duquel le traitement de tout membre du personnel suspendu préventivement qui fait l’objet d’une inculpation ou d’une prévention dans le cadre de poursuites pénales est fixé à la moitié de son traitement d’activité, alors qu’une telle réduction automatique du traitement n’est pas prévue à l’égard d’autres membres du personnel, tels les agents des services décentralisés, pour lesquels le législateur de la Communauté française est également compétent, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution ? ».

Pour répondre, la Cour rappelle tout d’abord que « le principe d’égalité et de non-discrimination n’exclut pas qu’une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu’elle repose sur un critère objectif et qu’elle soit raisonnablement justifiée » et que « le principe d’égalité et de non-discrimination est violé lorsqu’il est établi qu’il n’existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ».

A la justification avancée par le Gouvernement de la Communauté française qui repose sur le fait que « les autres membres du personnel qui relèvent de la compétence de la Communauté française ne sont pas suffisamment comparables aux membres du personnel de l’enseignement organisé par le Gouvernement de la Communauté française au regard de la disposition en cause, eu égard aux spécificités des missions d’enseignement et aux contacts directs et quotidiens avec les élèves et les enfants que celles-ci supposent », la Cour rappelle qu’il ne faut pas confondre différence et non-comparabilité et, pour elle, ces catégories de personnes sont comparables.

Après avoir reconnu que le critère de distinction fondé sur la nature de la mission de service public exercée par les membres du personnel de la Communauté française était objectif, la Cour examine ensuite s’il est pertinent à la lumière des objectifs de la mesure en cause et si le caractère automatique de la réduction de traitement est proportionné aux objectifs poursuivis.

Selon les travaux préparatoires du décret concerné, la suspension préventive avec réduction automatique de traitement constitue une des mesures par lesquelles le législateur décrétal de la Communauté française a entendu réagir aux situations dans lesquelles « un membre du personnel enseignant ou d’éducation est soupçonné de faits de pédophilie ou de moeurs ou d’autres délits ou crimes qui revêtent un caractère de gravité et qui sont commis à l’encontre de mineurs d’âge ».

La mesure de réduction automatique de traitement s’applique à tout membre du personnel suspendu préventivement en cas d’inculpation ou de prévention dans le cadre de poursuites pénales et elle va donc au-delà des inculpations ou préventions qui sont en lien avec les objectifs qui consistent à protéger les enfants et à assurer la sérénité dans l’établissement scolaire.

Il n’apparaît donc pas en quoi ces objectifs sont pertinents au regard des autres poursuites pénales. En pareils cas, ces objectifs ne peuvent dès lors justifier que les membres du personnel de l’enseignement organisé par le Gouvernement de la Communauté française bénéficient de moins de garanties que les autres membres du personnel qui relèvent de la compétence de la Communauté française.

La Cour reconnaît également que bien qu’une différence de traitement relative aux conditions de suspension ou aux motifs de suspension puisse être pertinente à l’égard des membres du personnel qui sont en contact avec des personnes vulnérables afin de protéger pleinement ces personnes, tel n’est pas le cas pour une réduction automatique de traitement.

De surcroît, il ressort des travaux préparatoires que le législateur décrétal a conçu la réduction du traitement comme l’accessoire nécessaire et automatique de la mesure de suspension préventive. Par ailleurs, le législateur décrétal a explicitement entendu exclure toute faculté d’appréciation de la part des pouvoirs organisateurs quant à l’existence et à l’étendue de la réduction de traitement dans une telle hypothèse, dans le but d’agir contre l’inertie de ceux-ci et d’éviter toute discussion qui ferait présumer la culpabilité de l’enseignant.

Bien qu’il s’agisse d’objectifs légitimes, ceux-ci ne justifient pas que seuls les membres du personnel de l’enseignement organisé par le Gouvernement de la Communauté française se voient imposer une réduction automatique de traitement en cas de suspension préventive.

La Cour conclut dès lors que la disposition concernée viole les articles 10 et 11 de la Constitution.