Cour constitutionnelle – Arrêt n° 32/2022 du 24 février 2022

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M.B 28.02.22

En cause : la demande de suspension du décret de la Communauté française du 30 septembre 2021 « relatif au plan d’investissement dans les bâtiments scolaires établi dans le cadre du plan de reprise et résilience européen », introduite par le SeGEC.

La Cour conclut que la clé de répartition théorique prévue entre le réseau de la Communauté française, le réseau officiel subventionné et le réseau libre subventionné dans le cadre des subventions européennes d’investissement pour les bâtiments scolaires (art. 5 du décret du 30.09.2021) n’est pas raisonnablement justifiée. Elle considère que cela est également le cas pour les taux de financement différents des projets du réseau de la Communauté française et ceux du réseau libre subventionné (art. 19 du décret).

Quant à la clé de répartition (art. 5)

La clé de répartition théorique des subventionnements d’investissement pour les bâtiments scolaires est déterminée comme suit : 41,15 % pour les bâtiments scolaires dont la Communauté française a la charge de propriété ou de copropriété, 34,12 % pour les bâtiments scolaires de l’enseignement officiel subventionné et 24,73 % pour les bâtiments scolaires de l’enseignement libre subventionné.

Le législateur décrétal s’appuie principalement sur trois éléments pour justifier cette différence de traitement :

En ce qui concerne, premièrement, le régime de propriété, la création d’une valeur immobilière grâce à un subside public peut justifier une différence de traitement entre les PO du réseau libre subventionné et le réseau d’enseignement de la Communauté française lorsqu’il s’agit de répartir des subventions destinées à des investissements immobiliers.

Néanmoins, le décret attaqué impose que le bâtiment scolaire pour lequel le subventionnement est demandé soit affecté à un usage scolaire pour une durée de 30 ans au moins à partir de l’octroi de l’accord ferme de subventionnement. Cette obligation du maintien du bâtiment et le mécanisme de sanction qui l’accompagne garantissent que la plus-value immobilière créée grâce au décret attaqué en faveur d’entités privées qui mettent des bâtiments scolaires à disposition PO ne profite réellement pendant cette durée qu’aux usagers du service public de l’enseignement. Cette circonstance rend moins pertinente la distinction fondée sur le régime de propriété des bâtiments scolaires invoquée pour justifier la clé de répartition contestée.

De plus, il est possible que des PO du réseau libre subventionné bénéficient d’un soutien financier externe grâce aux propriétaires privés des bâtiments scolaires qu’ils occupent. Le critère d’un tel soutien financier externe, en ce qu’il est appliqué indistinctement à tous les PO du réseau libre subventionné, ne permet pas de justifier la clé de répartition contestée.

En outre, le fait que la Communauté française assume les charges, dont les obligations d’entretien, liées aux bâtiments scolaires dont elle est propriétaire ou copropriétaire, ne permet pas de justifier la différence importante créée par la clé, contestée, de répartition des subventionnements.

En ce qui concerne, deuxièmement, les nécessités de rénovation différentes, la Cour relève qu’une obligation d’assurer en permanence et sur tout le territoire une offre d’enseignement suffisamment large incombe à la Communauté française, en raison de sa qualité de service public au sens organique. Or, cette différence entre le réseau d’enseignement de la Communauté française et le réseau libre subventionné est atténuée par la circonstance que la Communauté doit aussi assurer le libre choix des parents, de sorte que les écoles du réseau libre subventionné doivent également être suffisamment présentes sur le territoire de la Communauté française. Cette différence n’est pas pertinente pour la répartition d’un subventionnement dont le but est de permettre la re construction et la rénovation des bâtiments scolaires déjà construits.

Troisièmement, en ce qui concerne les nécessités de rénovation différentes, le type et l’état des bâtiments scolaires susceptibles de donner lieu à l’octroi d’une subvention sont pertinents. Cependant, le seul fait que le parc immobilier du réseau d’enseignement de la Communauté française serait constitué de davantage de pavillons préfabriqués – à le supposer établi – ne permet pas de justifier l’octroi à ce réseau d’enseignement d’une enveloppe globale proportionnellement plus importante, sans qu’il soit tenu compte des besoins effectifs des PO, indépendamment de leur appartenance à un réseau.

Quant au taux de financement (art. 19 du décret)

Les projets relatifs aux bâtiments scolaires dont la Communauté française est propriétaire ou copropriétaire peuvent bénéficier d’une subvention à concurrence de 82,5 %, sans plafond, alors que le subventionnement pour les bâtiments scolaires du réseau libre subventionné est limité à 65 % (pour l’enseignement obligatoire et les centres psychomédicosociaux) et à 35 % (pour l’enseignement supérieur) du montant total de l’investissement.

A cet égard, la Cour rappelle à nouveau que le critère de l’existence d’un support financier externe ne peut être appliqué de manière indifférenciée à tous les PO du réseau libre subventionné, dont les fonds propres et les capacités financières pour contracter des emprunts peuvent être différents les uns des autres.

Si le fait de tenir compte des besoins réels des différents établissements pour déterminer les taux de financement des projets constitue un critère pertinent au regard de l’objectif de la transition verte et de celui de mener des politiques pour la prochaine génération, une différenciation par réseau n’est pas, en tant que telle, pertinente.

Quant au risque de préjudice grave et difficilement réparable

La Cour considère que le préjudice financier subi par les PO qui, en raison de l’application de la clé de répartition et du taux de financement prévus, ne bénéficieront pas des subsides auxquels ils auraient pu prétendre, doit être considéré comme grave et difficilement réparable.

La Cour prononce donc la suspension des articles 5, §2, et 19 du décret attaqué ce qui permet à la Communauté française de modifier sa réglementation sans attendre le prononcé de l’arrêt d’annulation.